Analyse et argumentation à propos du projet de constitution européenne

On peut être anar, écolo, féministe, coco, socialo ou ne pas "faire de politique". qu'on le veuille ou non, ce texte est une constitution, et oriente pour des décennies (voir paragraphe 8) les politiques globales en Europe, à moins d'un changement majeur. C'est sur, on peut se demander, qu'attend t-on pour opposer à ce traité constitutionnel un modèle alternatif ? En attendant, il faut dire STOP à cette machine infernale lancée à toute vitesse qui fait trop de dégâts sociaux et en fera d'avantage ... Voici un résumé des points clés, autant de raisons de comprendre comment fonctionne l'Union actuelle ...

1. Une Union Européenne militariste et pilier de l’OTAN.

 

Art. I-41-3 : Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leur capacité militaire.

Art. I-41-2 : Les politiques de l’Union (..) respecte les obligations découlant du traité de l’atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN et elle est compatible avec la politique commune de sécurité arrêtée dans ce cadre.

 

Commentaire: Le texte du projet, vis à vis de l’OTAN est très explicite. D’ailleurs, Tony Blair en a fait l’un des ses arguments dans son livre blanc à la chambre au parlement britannique, en faveur du « oui ». En effet, non seulement l’Europe proposée serait militariste, dans l’obligation d’augmenter les dépenses militaires et sa politique de sécurité compatible avec l’OTAN. L’OTAN constitutionnalisé, on croit rêver ! Il ne faudra pas espérer attendre, avec une pareille Union Européenne, un non alignement sur la politique des Etats Unis, ou des pressions fermes sur Israël dans les territoires occupés. L’article III-131 de la partie III (la plus ultra-libérale du traité) précise même de manière surréaliste: « Les Etats membres se consultent » en cas de guerre pour «éviter » que le fonctionnement du « marché intérieur n’en soit affecté » !

 

2. Une Union Européenne anti-démocratique.

 

Art. I-47-4 : Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatifs [combien ?] d’Etats membres peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre des ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire, aux fins de l’application de la Constitution (…).

 

Commentaire: Cette nouvelle possibilité, inscrite dans la Constitution, comme mesure de « démocratie participative » a été abondamment popularisée par les partisans du « oui ». Les Verts, par exemple, dans certaines professions de foi aux élections Européennes ont fait croire aux électeurs que « un million de citoyens pourraient proposer par pétition une loi Européenne ». En fait, il n’en est rien, comme l’indique clairement le texte. Un million de citoyens peuvent « inviter » la Commission, et cette loi doit s’appliquer dans le cadre de la Constitution ! Au regard de la partie III qui impose les politiques libérales à l’Union, cette attribution reste sérieusement limitée ! Bref, non seulement la Commission fait ce qu’elle veut de cette pétition (et actuellement la Commission est plus à droite que jamais ..) mais en plus la loi doit respecter le contexte ultra libéral de l’Union !

 

Art. I-20-1 : Le Parlement européen (…) élit le président de la Commission.

Art. I-27-1 : En tenant compte [comment ?] des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées [ des tractations de couloir ?], le Conseil Européen [constitué des membres des gouvernements], statuant à majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission (…).

 

Commentaire: Ce sont donc les gouvernements qui choisissent, le parlement étant prié d’entériner leurs choix. Tenir compte du résultat des élections, n’autorise pas à penser que la Commission reflèterait les rapports de force issus du suffrage universel.

 

3. Un gouvernement de technocrates non élus.

 

Art. I-26-1 : La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l’application de la Constitution ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de celle ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union Européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce les fonctions de coordination, d’exécutions et de gestion conformément aux conditions prévues par la Constitution. A l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et les autres cas prévus par la Constitution, elle assure la représentation extérieure de l’Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels.

Art I-26-2 : Un acte législatif ne peut être adopté que sur la proposition de la Commission (…)

Art I-26-4 : Les membres de la Commission sont choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement Européen et parmi des personnalités offrant toute garantie d’indépendance.

 

Commentaire: Les articles sont ici très clairs et explicites. Les attributions exorbitantes d’une Commission non élue qui dispose de pouvoirs législatifs, exécutifs, mais aussi judiciaire. Une telle concentration des pouvoirs dans les mains de personnalités « indépendantes » (indépendantes, comme le président actuel de la Commission, le très atlantiste M. Barosso ? indépendantes, comme le Commissaire européen conservateur et anti-avortement M. Buttiglione ?). Nous sommes même ici en régression par rapport à la philosophie de Montesquieu de la séparation des pouvoirs ! Le parlement n’a donc aucun pouvoir … On se demande comment la majorité des parlementaires (y compris au PS et chez les Verts) ont pu voter une telle limitation de leur prérogatives.

 

4. La précarité et la flexibilité des travailleurs inscrites comme valeur suprême de l’Union

 

Art II-75-1 : Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée.

Art II-75-2 : Tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout Etat membre.

Art III-203 : L’Union et les Etats membres s’attachent (…) à promouvoir une main d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie (…).

 

Commentaire : Il y a une différence entre le « droit au travail » prôné par différentes Constitutions nationales, et le « droit de travailler », car le droit au travail est lié au code du travail, ce n’est pas le cas lorsque l’on proclame le droit de travailler. Cet article entérine un recul de 150 ans en arrière, puisque le droit au travail était déjà une revendication des révolutionnaires de 1848 en France. D’autre part, la liberté de « chercher un emploi » entérine les situations de chômage. L’article III-203 proclame lui l’adaptation et la flexibilité des travailleurs, sommés de s’adapter au marché …

 

5. La taxation des capitaux est interdite.

 

Art. III-156 : Dans ce cadre de la présente section [« Capitaux et paiements »], les restrictions tant aux mouvements de capitaux, qu’aux paiements entre les Etats membres et les pays Tiers sont interdites.

Art. III-157-2 : Le parlement Européen et le Conseil s’efforcent de réaliser l’objectif de libre circulation des capitaux entre Etats membres et pays tiers, dans la plus large mesure possible et sans préjudice d’autres dispositions de la constitution.

 

Commentaire : C’est bien la première fois dans l’Histoire des constitutions, qu’un parlement élu au suffrage universel devrait respecter la libre circulation des capitaux (Art. III-157-2), pilier de la doctrine et de l’économie ultra libérale. Autrement dit, il s’agit bien d’un viol de la volonté des électeurs qui élirait un parlement opposé au néolibéralisme. Le traite va très loin puisqu’il interdit toute restriction aux mouvements de capitaux , type Taxe Tobin, l’un des fondements d’Attac. On ne pourra rien changer à cette situation, car il suffira qu’un Etat s’oppose à tout changement (le Luxembourg par exemple) pour que cette disposition soit maintenue.

 

6. La Concurrence, devenue un dogme de l’Union Européenne : les services publics passent à la trappe.

 

Le thème de l’économie de marché « ouverte » où la « concurrence est libre et non faussée » revient comme un leitmotiv dans tout le projet de Constitution. Le maquillage par une Charte des Droits de l’Homme ne doit tromper personne. Cette charte est un alibi, car la partie III du traité est très explicite sur les politiques ultra libérales. Un exemple :

 

Art. III-209 : (…) L’Union et les Etats membres agissent en tenant compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union .

 

Fidèle au traité de l’AGCS, au sein de l’OMC, La libéralisation des services est vivement encouragée par l’article suivant :

 

Art. III-148 : Les Etats membres, s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi cadre européenne adoptée en application de l’article III-147 (…) [qui porte sur la procédure de libéralisation].

 

Sur le point des services publics (écoles, hôpitaux etc.), le projet est même en recul par rapport au traité de Nice, et n’apparaît pas dans les objectifs de l’Union (Art. I-3) alors que la « concurrence libre et non faussée » est un des objectifs de l’Union, et même le deuxième ! (Art. I-3-2). Le projet remplace le mot « service public » par le terme « service d’intérêt économique général ». On notera l’adjectif « économique » de tels services, devenus rentables. L’article suivant impose la règle de concurrence à ces services :

 

Art. III-166-2 : Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant un caractère de monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la constitution, notamment aux règles de la concurrence, dans la mesure où l’application de ses dispositions ne fait pas échec en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie.

Art. III-167-1 : Sauf dérogations prévues par la constitution [mais les dérogations ne prévoient pas les cas de non concurrence], sont incompatibles avec le marché intérieur (…) les aides accordées par les Etats membres ou au moyen des ressources de l’Etat sous quelque forme que ce soit qui fausse ou qui menace de fausser la concurrence.

 

Commentaire : L’article III-132 prévoit même qu’un Etat membre ou la Commission Européenne peut saisir la Cour de Justice s’il estime qu’un Etat fait un usage « abusif » des dérogations aux règles de la concurrence accordée pour les services d’intérêt économique général. Et la cour de Justice statue à « huit clos » est-il précisé dans ce même article …

 

7. Une banque Centrale hors de tout contrôle

 

Art III-188 : (…) Ni la banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme. Les institutions, organes ou organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des Etats membres s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la Banque centrale européenne ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leur mission.

 

Commentaire : Cet article est repris du traité de Maastricht. Il soustrait le conseil des gouverneurs de la banque centrale – la plus occulte des institutions européennes – à tout contrôle démocratique. Ici, l’Europe s’affirme encore plus libérale que les Etats unis, puisque la FED (Banque Fédérale US) dépend encore du contrôle du gouvernement américain. Cette indépendance affirmée n’est qu’une façade. Car en fait, rien n’interdit les banquiers centraux de prendre leurs consignes auprès des milieux d’affaire et lobbies financiers. La « stabilité des prix » (Art I-3-3) devient un des objectifs prioritaires de l’Union, et donc de sa Banque Centrale, alors que la formation ou la lutte contre le chômage n’y figurent pas !

 

8. Une camisole de force verrouillée pour des décennies.

 

Art IV-443-3 : Une conférence des représentants, des gouvernements des Etats membres est convoquée par le président du Conseil en vue d’arrêter d’un commun accord les modifications à apporter au présent traité. Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifié par tous les Etats membres conformément à leur règle constitutionnelle respective.

 

Allons nous voir le bout de l’Autre Europe (sociale) de notre vivant ? Pas sur avec un tel texte. Au terme d’une procédure très lourde qui comporte la réunion d’une Convention puis d’une conférence Inter-Gouvernementale, une double unanimité est requise. Celle des gouvernements des Etats membres, puis celle de leurs parlements, ou de leur peuple en cas de procédure référendaire. De quoi bloquer tout évolution ultérieure. Il s’agit bien d’une camisole de force ultra libérale qu’on veut nous faire endosser pour des décennies …

 

9. Une constitution en retrait sur la déclaration des droits de l’Homme de 1948

 

Art. II-34 §3 : (…) Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement.

Art. II-15 : (…) Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée

 

Art. II-28 : (…) Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont (...) le droit de (...) recourir, en cas de conflit d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.

 

Commentaire : Les droits au revenu minimum, au logement, etc. ne sont pas reconnus. Ce §3 de l’article II-34 est en retrait sur la Déclaration universelle des droits de l’homme qui, en 1948, proclamait : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et celui de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » (article 25. 1). L’article II-15 se borne à ne pas interdire à quelqu’un de travailler ni l’obliger à exercer une profession qu’il refuse. Heureusement ! Cela n’a rien à voir avec le « droit au travail ». D’après l’article II-28, travailleurs et employeurs sont traités identiquement et le droit de grève n’a été retenu qu’étendu aux employeurs ! Aux termes de l’article II-14, seul l’enseignement obligatoire doit être gratuit : dans de nombreux pays, l’école maternelle et l’enseignement supérieurs resteront réservés à ceux qui peuvent payer.

 

F. & P. novembre 2004